GILI Eric
Le village de
Roquebillière apparaît pour la première fois dans les sources écrites en
1147
,
sous l’appellation de Rocabellera. Après avoir beaucoup glosé sur
le nom du site (avec la francisation de la « Roche aux Abeilles »), une
correspondance peut être faite avec l’ensemble des lieux de proximité :
Belvédère et La Bollène, dont le vocable est suffisamment proche pour que
l’on y porte attention. La proximité de ces appellations démontre la
présence d’un espace cohérent dans le cœur de la vallée, qui s’identifie
par opposition à ceux de Lantosque et de Saint-Martin. Un particularisme
que les rares sources croisées mettent en évidence.
Mais l’histoire du site,
sans que l’on puisse peut-être parler de village, est bien plus ancienne.
Pour en expliquer l’appellation (Abilhiera), il faut sans doute
faire appel à la racine pré-indo-européenne B.L.
déterminant une position particulière du lieu par rapport à la roche
éponyme. De fait, cette caractéristique se retrouve dans toute la
Vésubie, prouvant une organisation antérieure aux Romains. D’autres
indices nous incitent à accepter cette hypothèse : les noms de
Lantosque, de Gordolasque, de Pélasque, de Nautès,
Nanduébis… mais aussi les récents résultats des sondages
archéologiques menés par le Centre d’Etudes du Musée des Traditions
Vésubiennes autour de l’espace de l’ancienne chapelle Saint-Nicolas
.
Un certain nombre de tessons retrouvés correspondent vraisemblablement à
une époque antérieure à la romanisation de notre région, et plus sûrement
encore à une population peu ou pas romanisée que nous retrouvons encore
au IIème siècle de notre ère.
Par comparaison avec les
quelques sources dont nous disposons sur Roquebillière, il semble que ces
éléments puissent être identifiés de manière similaire. Une seule mention
archéologique reconnue nous permet d’affirmer cette présence dès l’époque
pré-romaine
,
avec ce qui est alors appelé « Proto-historique ». Malheureusement, la
disparition du matériel (les tessons) ne nous permet pas aujourd’hui de
confirmer cette hypothèse, alors que nous en aurions les moyens d’analyse
et les éléments de comparaison nécessaires. Nous avons donc la certitude
qu’il existe une forte occupation humaine dans notre espace
Centre-Vésubie dès l’Antiquité, et qu’elle procède par une solution de
continuité jusqu’aux temps médiévaux.
Revenons donc à la
période historique. Nous avons maintenant la certitude, après l’étude
d’urbanisme qu’ont mené les élèves de l’Atelier du Patrimoine, que le
village médiéval n’est pas à l’emplacement du Vieux village. La légende
locale, rappelant les multiples déplacement de son site
nous apprend qu’il se trouvait sans doute à proximité du site du Caïre
del Mel. De fait, quelques personnes ont bien voulu nous indiquer
dans son voisinage les traces de ce qu’elles appellent « le village
ancien », une nouvelle fois renforcées par la présence du toponyme
explicite de « Ville Vieille » (présent dans le vieux cadastre
Napoléonien de 1873). Un relevé et une projection étudiée seraient
nécessaires pour confirmer cette hypothèse vraisemblable. Ils restent à
réaliser.
De ce village, même si
l’emplacement semble certain, il ne nous est connu ni la configuration,
ni l’extension réelle. Pourtant, au XIIème siècle
,
nous pouvons préciser les revenus qui en sont tirés par l’Eglise, et plus
précisément par l’évêque de Nice : 9 deniers pour Gordolon, contre 6 pour
Saint-Michel du Gast (on ne parle pas de Roquebillière dans ce document).
Par comparaison, Venanson en paie 4 ½, Saint-Martin, Belvédère et La
Bollène 9, contre 18 pour Lantosque. En présentant Saint-Michel, le
document nous apprend que les Hospitaliers sont déjà installés dans
l’espace Centre-Vésubie. L’Ordre des moines soldats s’y implante à la
suite de la restauration du pouvoir comtal, comme le souligne J.C. POTEUR.
Le lien avec les guerres de « reconquête » engagées par le comte de
Provence contre les consulats alpins semble évident
.
Ils possèdent alors l’église, qui pourrait se trouver sur l’emplacement
de Saint-Michel, comme semble le montrer J. P. BOYER dans sa thèse
.
Au XIIIème siècle, on
parle d’un castrum de Roquebillière
.
Un château y est alors élevé, ce que confirment les enquêtes du Comte de
Provence angevin. Roquebillière doit 4 livres d’Albergue (le droit
d’hébergement du Comte) et autant de Cavalcade (participation aux frais
de guerre). Ces coûts sont déjà transformés en une sorte d’impôt.
Quelques décennies auparavant, le Comte n’hésitait pas à les faire
valoir, s’appliquant à les utiliser, profitant de l’hospitalité obligée
de ses sujets. C’est pour éviter ces dépenses souvent exorbitantes pour
les communautés que nombre d’entres-elles préfèrent payer un impôt
forfaitaire en remplacement. D’autant plus acceptable que nos villages se
situent dans la zone périphérique du Comté, les Terres Neuves de
Provence.
Au XIVème siècle, au
terme de son existence, la communauté de Gordolon verse 10 florins à
l’évêque de Nice, alors que Roquebillière paie encore 4 florins de taxes
synodales, mais est identifiée par rapport au Gastum Saint-Michel,
qui en paie pourtant 6. Il est délicat d’interpréter ces chiffres, quand
la base de l’imposition nous reste inconnue. Si l’on admet un certain
rapport de proportionnalité, Roquebillière ne semble pas être très
puissante dans cet espace. En élargissant la comparaison, nous pouvons
noter que Venanson et Belvédère paient 6 florins, 10 pour la Madone de
Fenestres, et 5 pour La Bollène. C’est pourtant cette communauté qui
survivra à ses voisines, en rassemblant l’essentiel des territoires de
Gordolon et la totalité du Gast. Dans ces trois lieux ont très
bien pu coexister trois édifices religieux, dont deux nous sont encore
totalement inconnus.
Le nom même de Gordolon
attire également notre attention, par sa consonance antique, à rapprocher
de Gordolasque… Du village dont nous venons de citer le souvenir, il ne
reste rien, sinon une chapelle en ruines que nous identifions à un
édifice du XVIIème siècle, du temps où ce territoire appartenait à la
commende de l’évêque de Nice. Notre-Dame de Gordolon lui échoit dès le
XIVème siècle
,
quand disparaît définitivement le village, et ce, jusqu’à la Révolution,
offrant d’importants revenus à un prieur. Les ruines de la chapelle sont
aujourd’hui propriété à la fois privée dans une sorte de co-propriété
reconnue entre les voisins, qui y possèdent tous un droit. Nous pouvons
imaginer que cette collectivité est née lors de la vente des Biens
Nationaux, à la fin du XVIIIème siècle, ce qu’il serait intéressant de
prouver. Le site du village ancien n’est pas localisé. Peut être la route
départementale l’a-t-elle traversé. Nous identifions pourtant un site
archéologique repéré
à proximité des ruines. Un mur maçonné, à parements irréguliers mais aux
assises intéressantes, élevé en moellons visiblement réemployés, pourrait
être le dernier vestige d’un édifice plus ancien
.
Reste à savoir où se situe la nécropole du lieu, qui identifierait
définitivement l’église médiévale. Par contre, nous ne croyons pas que le
tremblement de terre du XVIème siècle ait pu recouvrir le village ancien,
ce que la topographie locale interdit sur un site d’extrémité de plateau.
Il semble donc important de retrouver les traces furtives et fragiles de
l’ancien village, et d’informer les riverains de la richesse historique
et archéologique de leur quartier. Rappelons enfin que l’entente de tous
peut seule permettre de faciliter la recherche, tout en respectant la
règle de la propriété et le désir de tranquillité de chacun. De plus, la
connaissance de notre passé reste un devoir civique auquel chacun peut
contribuer très simplement et en tirer la satisfaction d’avoir œuvré à la
découverte d’une réalité disparue qui aurait pu l’être définitivement.
Comme exemple, nous
aimerions citer M. Léopold TONSO, qui nous a fait part d’une de ses
connaissances, en nous montrant un rocher hiératique gravé très
intéressant. Nous y retrouvons deux croix tréflées, de bonne facture,
visiblement taillées avec un outil métallique. Il s’agit
vraisemblablement d’une marque de limite. Rive droite, au débouché d’un
vallon, et face à la Gordolasque, nous proposons qu’il s’agisse d’une
borne marquant l’ancienne commende de Gordolon. Mais aucun document connu
n’en fait mention, et elle ne pourra être retenue comme hypothèse
qu’après avoir retrouvé d’autres bornes-rochers du même type, qui ne
manqueraient pas de signifier les autres termes du territoire considéré.
Une nouvelle fois, remercions M. TONSO dont la gentillesse et la
curiosité a fait avancer l’ensemble des recherches vésubiennes.
Le château de
Roquebillière existe encore au XVIème siècle
,
alors que la famille des Grimaldi de Beuil l’acquiert, avec celui de
Belvédère. C’est d’ailleurs de cette particularité défensive (la
possession d’un château) que vient l’adjonction du nom de « Roche » ou
« Roc », préfixe du vieux vocable d’Abilhiera, renforcé dans notre
cas par la présence du toponyme explicite de Castel Vieil
.
Le sommet du Caïre
del Mel, espace réduit, est généralement signalé comme le site du
« Château » de Roquebillière. Il s’agit d’une hypothèse séduisante,
surtout si l’on s’attache à voir la présence d’une muraille dans la
structure maçonnée présente qui coupe de bout en bout l’accès. Mais dans
un cas contraire, comment expliquer cette construction, la présence d’un
liant de mortier de chaux, et, même en l’absence de véritables assises,
avec un parement très irrégulier, d’un mur d’une épaisseur homogène de 80
cm. Il ne s’agit pas d’une quelconque structure dont la destination
pourrait être liée aux activités de l’élevage, mais bien, selon nous,
d’une édification à caractère défensif. Il faut alors sans doute revoir
le terme de « château », proposé par les textes, pour ne lui attribuer
qu’une définition plus proche d’une modeste tour de défense-surveillance,
sans doute tardive (fin XIVème – XVème siècle). Une fois de plus, il est
impossible de considérer uniquement le site de Roquebillière sans le
relier à celui de ses voisins immédiats, ce qui permettrait d’expliquer
un espace. Une prospection archéologique s’impose sans doute pour
approfondir nos connaissances sur ce lieu.
La légende récurrente
des Templiers reste attachée au lieu de Roquebillière et tout
particulièrement à son ancienne église, Saint-Michel. Il faut sans doute
y voir une assimilation des deux ordres des moines militaires
Hospitaliers et Templiers
,
comme ailleurs dans la Vésubie (pensons à la Madone de Fenestres et à
Saint-Martin). Mais une autre légende rappelle le temps de la première
Christianisation, celle du Martyr de saint Julien, patron de la Commune,
qu’il condamne pourtant à être détruite Sept fois...
Une chapelle lui est dédiée, sur le plateau formant une péninsule entre
Gordolasque (rive droite) et Vésubie (rive gauche). Elle revêt une
importance certaine aux yeux des Roquebilliérois mais aussi et surtout
pour l’histoire de l’espace Centre-Vésubie.
Le bâtiment a connu de
multiples remaniements. Nous pouvons encore en distinguer au moins
trois : Sa façade a été fermée, sans doute au même moment que toutes les
chapelles de notre région jusqu’alors largement ouvertes par une voûte et
un treillis de bois, vers la fin du XVIIIème siècle. C’est l’époque où
est créée la porte centrale entourée des deux fenestrons portant sur leur
partie extérieure supportée par les bases de la voûte. Un second
remaniement est inscrit dans la façade Est, où l’on distingue très
nettement un rajout vers le Nord, qui surpasse un chaînage ancien de
belle composition. Dans sa partie méridionale, le bâtiment possède
quelques assises de belle facture qui pourraient dater de la fin du Moyen
Age. Enfin, l’extension Nord a été réduite par le père de M. Antoine
MORES
qui nous a rapporté l’information. L’importance du bâtiment que nous
appellerons « Renaissance » (XVème – XVIème siècle) mériterait que l’on
s’y attache plus directement, afin de préciser ses caractéristiques.
Une dernière information
est d’importance. La légende, corroborée par quelques faits historiques,
laisse supposer que l’édifice ne fut pas toujours une chapelle. « On »
raconte que Saint-Julien abrite encore les restes des soldats morts
durant les guerres du XVIIIème siècle, de la Révolution Française (c’est
de son plateau que sont partis les envahisseurs Français qui attaquèrent
Belvédère), ainsi que les habitants décédés lors d’une épidémie de Typhus
indatable. Selon nos propositions, nous pourrions y voir un espace
utilisé avant ou parallèlement au premier village, et peut être, par
extension, une église du premier réseau paroissial ou une reprise d’un
site antique romanisé. Mais il ne s’agit là que de pures spéculations.
Revenons à l’église de
Saint-Michel. Il s’agit de l’un des rares exemples de l’architecture
gothique dans les Alpes Maritimes, et sûrement du Patrimoine religieux le
plus spectaculaire de notre vallée, avec Saint-Véran d’Utelle. Le nom de
saint Michel de Gast provient du plateau situé au-dessus de l’édifice, le
Plan-Gast. Ce toponyme est très nettement lié à l’exploitation
agricole pratiquée à l’époque médiévale. Le Plan rappelle sa
topographie, un espace de plateau, mais aussi sa position, puisqu’il
s’agit, par comparaison avec la structure toponymique des autres villages
de la vallée, d’un espace immédiatement au pied du village médiéval. Ce
qui renforce notre tentative de localisation. Le Gast est plus
problématique. Il s’agit d’un terroir, bien identifié, mais qui fut
vraisemblablement abandonné lors d’une période de faible population, qui
réapparaît lorsque celle-ci se met à croître pour obliger une reprise
d’exploitation, mobilisant une importante force de travail désormais
présente. Il s’agit d’une réserve foncière agricole, et, par extension,
nous pouvons y voir la terre seigneuriale des XIIème-XIIIème siècles. Ce
que nous appellerions ailleurs une Condamine si elle avait été
partagée. Ce qui ne semble pas le cas à Abilhiera.
La première apparition
de l’église dans les archives date, comme nous l’avons déjà rappelé, de
1141, lors de sa concession par l’évêque de Nice, Pierre Ier, à l’ordre
des Hospitaliers. Elle existe donc déjà, est synonyme de revenus (les
dîmes). La légende, qui ne s’appuie malheureusement pour nous sur aucun
document écrit, parle d’une première église existant en 568. La précision
de cette date est surprenante. Elle en ferait l’un des tout premiers
édifices connus de notre région, juste après l’église paléochrétienne de
Cemenelum (Cimiez au IVème siècle
)
alors détruite, et après le monastère fortifié des Iles de Lérins
(Saint-Honorat au début du Vème siècle).
Plusieurs fois
transformée, c’est à la fin du XVème siècle que le prieur Monet ROGIERI
décide de sa reconstruction. L’église actuelle fut achevée en 1533, comme
il est indiqué sur la clé de voûte
.
Elle reprend visiblement un certain nombre de pièces appartenant aux
édifices antérieurs. Une étude minutieuse de l’ensemble, de ses abords et
de ses soubassements permettrait sans doute d’en préciser les éléments de
datation.
Le Vieux Village de
Roquebillière s’installa vraisemblablement sur son emplacement vers cette
période, quand fut décidée la reconstruction de Saint-Michel. Du peu que
nous puissions aujourd’hui retrouver sur le terrain, rien ne transparaît
d’une éventuelle construction médiévale. Plus encore, l’étude à partir du
vieux plan cadastral souligne la présence d’une structure urbanistique
comparable à celle des autres villages, organisée à partir d’un jeu de
rues principales et de places : retrouvant la Rue Droite, principale
artère du Vieux Village, nous pouvons identifier l’espace d’origine de
son installation, à proximité immédiate du vallon de la Rouinas, à
partir d’un petit replat de la pente. En suivant cette voie sur le vieux
cadastre, nous nous trouvons confrontés à un premier problème. Notre Rue
est coupée après cinquante mètres par une maison, marquant ainsi la
limite méridionale du premier « Vieux Village », et son extension
« Moderne » que nous pouvons dater des XVIIème-XVIIIème siècles. Ici
encore, nous retrouvons la Rue du Planet, élément
micro-toponymique caractéristique immédiatement placé sous la muraille.
Enfin, la présence de la Place Neuve nous donne l’extension Ouest extrême
du village. Ainsi pouvons nous reconstituer plusieurs espaces dans le
Vieux Village, entre le XVIème siècle, les XVIIème-XVIIIème siècles, puis
au XIXème siècle, quand apparaît la « nouvelle » Mairie puis que le
village s’étend le long de la nouvelle voie, bientôt desservie par le
tramway.
L’édifice essentiel du
Vieux Village d’aujourd’hui est la chapelle des Pénitents blancs. Il
s’agit visiblement de la seule confrérie de Pénitents du village, comme
le démontrent les documents d’archives
.
Cette confrérie d’entraide fut vraisemblablement intéressée par le
commerce transalpin, entre Nice et le Piémont, ce qui pourrait expliquer
la magnificence de l’édifice alors construit.
Son étude « architecturale » a été menée par nos
élèves, grâce à l’intervention d’un architecte, M. François-Bernard
DUGEAY, mais également avec l’apport profitable de Mme Frédérique
TROULHAT, géomètre.
L’analyse du bâtiment
nous a révélée de nombreuses indications, avec la présence de nombreux
accès, au moins quatre, qui ont dû servir à des périodes différentes. La
porte actuelle, même « datée » (fin XIXème siècle), n’est qu’une
indication fortuite, le linteau lui-même semblant rajouté. Les accès
antérieurs se trouvaient sur les autres façades : à l’Est, où nous
retrouvons une porte dans l’axe de l’abside, mais peut-être et surtout au
Nord, où s’élevait vraisemblablement un porche, aujourd’hui fermé, dont
la structure mériterait d’être révélée. Espérons qu’une réhabilitation
future pourra nous apporter les éléments d’analyses qui nous font défaut
aujourd’hui. La date portée à l’ouest de la porte actuelle, 1610, ne nous
donne qu’une indication incomplète, que l’on peut néanmoins rapprocher de
celle, contestée, se trouvant sur l’une des pierres de chaînage de
Saint-Michel, à une hauteur inaccoutumée (environ 1 m du sol) : 1666.
Cette correspondance ferait de ces deux éléments des constructions
presque contemporaines, d’autant plus que le clocher des Blancs est bien
plus tardif. Il n’en reste pas moins que l’édifice est composite. En
première analyse, il n’est pas orienté, et il est effectivement
difficile, aux vues de nos théories urbanistiques, de supposer un édifice
de la Renaissance. Les archives nous parlent d’une intention de
construction en 1572
,
sans que nous puissions dire si elle a alors été réalisée. Par contre,
début XVIIème siècle, nous savons que la chapelle est fonctionnelle. Son
abside ronde, qui fut surélevée, se présente comme une première
particularité, renforcée par la présence du clocher XIXème siècle (entre
1810 et 1812), surmonté du bulbe « Génois » qui en renforce l’image. Dans
sa conception, l’élément baroque reste omniprésent.
Nous n’avons pu visiter
l’intérieur de l’édifice, par mesure de sécurité pour nos élèves. Par
contre, une précédente visite, guidée par M. Serge GIORDANO, dans le
cadre du Centre d'Etudes Vésubiennes, nous avait permis de relever des
éléments confortant cette hypothèse stylistique de la fin de la période
Baroque. L’absence évidente du décor, heureusement réuni pour ce qui
concerne l’iconographie et la statuaire dans l’église Saint-Michel, grâce
à l’œuvre salvatrice de personnes passionnées, manque à l’analyse. Ici
encore, une étude plus approfondie, à partir d’une recomposition
numérique par exemple, serait intéressante à proposer.
Plus loin sur le sentier
menant à Saint-Julien, ancien chemin muletier principal de cette région,
et sans doute système de communication encore plus important dans des
temps antiques, nous avons retrouvé avec nos élèves deux chapelles de
proximité. Toutes deux sont présentes sur le vieux cadastre de la fin du
XIXème siècle. Une première, dont les mentions historiques et le vocable
(Sainte-Anne ?) nous échappent, aux formes arrondies, mais de conception
récente, peut être datée du début XXème siècle. Une seconde, plus
éloignée, Saint-Roch, dont la structure est plus conforme à un édifice
ancien, répond à son vocable. Elle est grossièrement orientée. En
considérant sa façade, nous constatons qu’elle fut fermée tardivement,
peut être à la fin du XVIIIème siècle, quand la mode l’imposa. Enfin, une
voûte, dont il faudrait vérifier la composition, soutient l’ensemble.
Tous ces éléments nous semblent indiquer une antériorité certaine,
vraisemblablement vers la fin du Moyen Age ou le début des Temps Modernes
(chapelle « Renaissance »). C’est également à cette époque que s’impose
le vocable de saint Roch dans d’autres villages
.
L’édifice a fait l’objet d’un relevé architectural de la part de nos
élèves. Nous espérons nous attacher à son étude plus approfondie pour les
années 2001-2002.
Enfin, nous avons noté la présence d’une dernière
chapelle, disparue aujourd’hui comme à la fin du siècle dernier, au nord
du village, formant le contre-point de Saint-Roch, sur la route qui
poursuit vers le haut de la vallée : Saint-Sébastien
.
Un quartier et un hôtel en rappellent la présence. Elle est à rattacher à
la ceinture protectrice spirituelle du village commune à toutes
agglomérations.
Sur la rive droite de la
Vésubie, s’étend le quartier industriel : la Bourgade. Son implantation
ne s’entend que par la présence du Vieux Village d’aujourd’hui. Nous ne
pouvons l’imaginer dans cette extension avec le village médiéval, qui
devait posséder son propre équipement à proximité de son emplacement, et
pourtant nous y connaissons l’église dès le XIVème siècle. Nous y
retrouvons une structure proto-industrielle complète : moulins à grains
et à huile (et pourquoi pas à noix ?), martinets de forge, scierie, et
plus tard usine électrique. La quadrilogie est respectée. Une de ses
particularités tient à l’extrême concentration de ces structures. Par
contre, nous retrouvons l’utilisation concomitante des roues à aube
(moulin à huile), à auge (forges) et des rodets (moulins à grain) servant
à lancer les engrenages et les différentes meules ou systèmes.
Les moulins ont
longtemps été possédés par le pouvoir seigneurial, qu’il soit ici
temporel ou ecclésiastique. Ils finissent par devenir propriété de la
Commune en 1430
,
quand le duc de Savoie les cède aux habitants, dans une volonté de se
lier les populations de ses terres au détriment des grands seigneurs trop
prompts à rechercher leur indépendance (ce fut le cas pour les seigneurs
castraux de Roquebillière, les Grimaldi de Beuil, dont la fin dramatique
est connue de tous).
Une des richesses
patrimoniales de Roquebillière est de posséder encore un martinet de
forge en état de fonctionner, ou peu s’en faut, très rare dans les
Alpes-Maritimes. Reprenons l’analyse proposée par Mlle Christelle
LAURENTI dans notre collaboration pour les éditions Flohics
:
« Il s’agit d’un moulin à force hydraulique, dont l’arbre, muni de six
cames, actionne un lourd marteau planté à l’extrémité d’une poutre ou
d’un tronc. L’eau arrive sur la roue, d’un diamètre de 1,50 m, par un
beal (un canal) très incliné, alimenté par une vanne, elle-même
commandée de l’intérieur de la forge. L’arbre, long de 5,50 m, d’un
diamètre de 0,45 m, porte six cames d’acier, qui font pivoter le marteau
long de 3 m. Seul le bâtiment subsiste, le mécanisme et la roue ont
disparu, le canal de fuite a été comblé [mais il serait simple d’y
remédier]. Le martinet est mentionné en 1813 dans un document qui en
recense 17 dans le département. On peut le supposer beaucoup plus ancien,
car il est d’un modèle déjà utilisé au XIème siècle
.
En 1790, un martinet et une scierie sont vendus à un particulier
».
La structure urbaine du
village, aujourd’hui disparue, peut se retrouver, en filigrane, dans
l’organisation du Nouveau Village, pensé et construit à partir des années
1930
.
Mais qui à cette époque pouvait encore avoir conscience du véritable
« nomadisme » de Roquebillière à travers l’histoire et aux différentes
époques. Seule la légende le rappelait avec force et intérêt.
Enfin, quand il s’agit
de retrouver l’histoire de Roquebillière, comment ne pas parler du site
de Berthemont. L’apport de M. DEBERDT a été pour nous fondamental. Nous
ouvrant à sa profonde connaissance du lieu, nous avons pu les mettre en
relation avec celles que nous avions jusqu’alors collecté. Tout d’abord
en rappelant la légende qui tient lieu de mythe fondateur du lieu :
l’impératrice Cornélia Salonine serait venue prendre les eaux à
Berthemont
.
En fait, même en rappelant les pseudo-écrits d’un chroniqueur antique,
Paulus Orosius, auteur des Annales de Gallien et dont nous n’avons
pu retrouver la source, une seule référence rappelle cet épisode, la
grandiose Storia delle Alpi Maritime de l’Abbé GIOFFREDO, au
XVIIème siècle. Le Musée archéologique de Cimiez
nous a permis de retrouver la stèle citée par GIOFFREDO et que nous
considérons pour lors comme la source unique de cette légende.
L’inscription « témoigne des honneurs rendus à l’impératrice … par le
sénat municipal » : A cornelia Salonina, sancissime, Auguste, épouse
de Gallien, notre jeune Auguste, le sénat de Cemenelum (éleva ce
monument) par les soins d’Aurelius Ianuarius, homme excellent. En
cherchant à confirmer la vision antique du site, nous nous référons
parallèlement aux écrits des érudits du siècle dernier, en rappelant ceux
de Lazare RAIBERTI, qui y voit, dans sa proximité immédiate une
implantation comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui sur
Saint-Nicolas d’Andobio. En y joignant la configuration toute
particulière du terrain, véritable zone de transition entre les espaces
identifiés de la Vésubie, à laquelle s’ajoute la présence de la chapelle
de la Madone de Berthemont, le plateau apparaît comme un véritable site,
occupé dès l’Antiquité et ce jusqu’au Moyen Age, avec une solution de
continuité évidente. Zone de conflits pendant tout le haut Moyen Age et
jusqu’aux alentours de l’An Mil, le plateau fut tour à tour convoité par
les communautés avoisinantes, et fini par échoir à Roquebillière, « par
échange » dit-on, avec un autre espace comparable, à proximité de
Saint-Julien, le Veseou. Nous proposons d’y voir, avec le
renforcement du pouvoir des Communautés à partir du XIIème-XIIIème siècle
(le « Temps des Consulats »), l’enjeu de l’extension programmée et de
l’affirmation communale. Zone de frictions, nous connaissons encore un de
ces affrontements, relaté par J.P. BOYER dans sa thèse
,
entre Saint-Martin et Roquebillière, ayant donné lieu à une véritable
petite guerre locale, où tous les symboles des appropriations successives
de l’espace et de ses composantes s’exprimèrent. Le site en est celui de
la Penea (Pinio ou Peneta que nous connaissons ?).
Comment ne pas voir entre ces éléments des preuves supplémentaires d’une
implantation plus ancienne, à laquelle se rattachaient les nécessités de
l’expansion économique et territoriale du village.
Revenons à Berthemont.
Il paraît évident, en comparaison avec les autres sites repérés dans la
vallée, que le plateau fut le lieu d’une implantation pré-romaine,
puisqu’il fut l’objet d’une romanisation, même imparfaite, comme cela
semble le cas dans tout le Haut Pays. Aux alentours de l’An Mil, nous
proposons comme hypothèse de travail qu’il y ait eu une véritable
communauté installée, selon le modèle précédent celui de l’incastellamento,
ou création des villages à partir des castrum repérés dans les
documents ultérieurs. C’est à cette époque que se rattache
vraisemblablement la Madone de Berthemont. La chapelle actuelle est un
vaste édifice aux caractéristiques pré-modernes. Nous ne pouvons pourtant
affirmer sa « médiévalité », par manque d’informations analytiques du
bâti – pas d’orientation, façade fermée elle aussi tardivement, parements
invisibles, mais aussi présence d’un vaste porche….
Par contre, son
importance, tant physique que spirituelle (rappelons le chapitre la
concernant écrit par Mlle Christelle LAURENTI « Pendant l’épidémie de
Peste de 1764
,
les habitants, pris de panique, s’adressèrent à la Municipalité : des
processions à la Madone de Berthemont furent alors décidées, en portant
les reliques de saint Gaudens, de saint Julien et de la Vierge du
Rosaire. La Madone de Berthemont fut le lieu d’une procession des
habitants de Roquebillière, qui implorèrent sa miséricorde en lui
apportant douze chandelles de six onces ».
Le modèle est connu. La
chapelle des rogations, à laquelle on s’adresse en cas de malheur
éminent, lieu de processions votives… autant d’éléments qui en font un
lieu supérieur à beaucoup d’autres, rappelant un temps et des relations
oubliés. Cette idée est renforcée par la présence potentielle d’une
nécropole à proximité. Il ne s’agirait donc plus d’une simple chapelle
champêtre, mais bien d’une ancienne église paroissiale oubliée,
supplantée par l’importance de Saint-Michel et de Saint-Julien, d’un
territoire englobé dans celui d’une communauté plus forte
.
Nous serions donc en présence d’un territoire, dont les pourtours restent
à définir avec précision, mais dont l’origine antique serait avérée, et
sa continuité historique certaine jusqu’au moins au XIème-XIIème siècles.
Reste à considérer la
présence des sources d’eau chaude, qui n’auront sûrement pas échappé,
dans tous les cas de figures, à nos ancêtres. Si nous nous rappelons
qu’elles sont généralement objets de cultes aux temps pré-romains (celtes
ou ligures, quelqu’en soit l’appellation), comment ne pas y voir ici
aussi une continuité certaine, reprise par la christianisation qui y
impose la présence forte de la Vierge, généralement mise en rapport avec
les croyances des eaux et des altitudes.
Rappelons que les « thermes » (si l’on peut alors
les appeler comme cela), auraient été détruits par le fameux tremblement
de terre de 1564, l’histoire nous apprend qu’ils furent de nouveau
« restaurés en 1663 grâce à Madame Royale, Christine de France »
.
C’est sans doute cette dernière structure qu’il serait intéressant de
retrouver sur le terrain. M. DEBERDT nous propose de la retrouver à
proximité des deux principales sources, Saint-Julien et
Saint-Jean-Baptiste. Il serait enfin intéressant de retrouver les
premières mentions de l’appellation de ces sources « sanctifiées » par
leur dénomination, qui offre un rapport certain avec l’histoire de notre
village.
L’établissement thermal
connait un renouveau certain à la fin du XIXème siècle, grâce à
l’initiative de quelques personnes d’heureuse mémoire : Pierre CARDON,
Charles BERGONDI. Mais ces lieux nécessitent de plus amples recherches,
et sans doute la mise en place d’un véritable programme d’études
pluridisciplinaires.
Concluons en rappelant
l’importance historique et surtout archéologique de l’espace
centre-vésubien, relevant certainement d’époques et de dominations très
diverses. Cette étude succincte n’est qu’un tableau rapidement brossé,
laissant ouvertes de très nombreuses voies d’analyses, rendues seulement
possible par la comparaison et l’application de différentes méthodes.
C’est ce que nous nous proposerons de réaliser dans un terme proche, en
rassemblant les bonnes volontés, et en comptant sur la collaboration du
plus grand nombre.
BIBLIOGRAPHIE
- BOYER J.-P. « Un prêtre ‘scandaleux’ dans
un village de Haute Provence au XVème siècle. Aspirations spirituelles et
enjeux profanes », in Provence Historique, T. XXXVII, fasc. 149,
juillet-septembre 1987, pp. 361-396
- Collectif Le Patrimoine des communes des
Alpes-Maritimes, Ed. Flohic 1999
- MUSSO A., F. & J. Roquebillière. Notes
d’Histoire, Ed. Serre, 1981
- THEVENON L. L’art du Moyen Age dans les
Alpes-Maritimes, Coll. Patrimoines, Serre, 1983
-----
- BARATIER E. Enquêtes sur les droits et revenus de Charles Ier
d’Anjou en Provence (1252 et 1278), Paris, 1969
- BODARD P. . « Quelques castra dirupta et vestiges
archéologiques du Comté de Nice recemment identifiés », in
Mémoires de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes
Maritimes, T. XXXII, 1990, pp. 123-137
- C’est le médecin Jean RAIBERTI qui est chargé d’en suivre la
progression, in MUSSO J. Op. Cit.