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CERAGIOLI Benoît

JOSEPH Sylvain

« Notre-Dame de la Menour à Moulinet : notes d’histoire »

  

Au sortir d’un virage de la route, les voyageurs qui, de Sospel, se dirigent vers Moulinet, voient soudain l’horizon, fermé jusque-là par les hautes parois de pierre des gorges de la Bévéra, s’entrouvrir sur une apparition surprenante : Notre-Dame de la Menour, sur son éperon rocheux, paraît en effet se dresser au sommet de la muraille des montagnes. Bien sûr, cette impression, due à la perspective, se dissipe au fur et à mesure que l’on gravit les lacets de la route. Mais la vision magique n’a pu manquer d’opérer, et rares sont ceux qui, parvenus enfin au pied du sanctuaire, ne s’y arrêtent pas pour apprécier ne serait-ce que la vue que l’on a « de là-haut », admirer l’œuvre des hommes et – pour certains – chercher à la comprendre.

 

Les Moulinois, elle les rassure par son antique présence tutélaire, « la Madone » à qui l’on va confier ses peines et ses espérances. A qui l’on rend visite, en promenant aux heures fraîches, les longs soirs d’été…

Tous savent ici, de façon instinctive, viscérale, que de ce pays elle est la Mère, à qui la dédicace à la Sainte Vierge ne pouvait mieux convenir, d’où la force de la vénération dont elle est l’objet… Et pourtant, que l’on sait – mais d’un autre savoir, historique, scientifique celui-là – peu de choses sur elle !

 

Toponymie.

Le nom même de La Menour est énigmatique. L’interprétation la plus simple, la Minor (« a Menour » en moulinois), comme il y a la Major à Marseille, ne se comprend que par comparaison. Mais avec quoi ?

La paroissiale est placée dès l’origine sous un autre vocable, et la chronologie interdit le rapprochement, Moulinet n’apparaissant dans les actes qu’en 1335, tandis que la Menour, sous la forme Lamelor, est citée – sans qu’il y soit question de chapelle, il est vrai – dès 1157[1]. A moins que le rapport ne soit – et divers indices paraissent pouvoir pousser à chercher dans ce sens – avec, à l’aval, Notre-Dame de Verx (« a Commenda ») à Sospel.

Toutefois, c’est bien tout le « quartier » qui est désigné sous le nom d’Amenour dans les actes anciens, voire les premiers cadastres, et la seule constante est une graphie en un seul mot, Menone ou Melone, Amenone ou Amelone, Lamenone ou Lamelor.

 

Si les formes avec « L » initial semblent l’interdire, peut-on exclure absolument l’hypothèse d’une origine patronymique ? L’historien de Sospel, Alberti, mentionne une étonnante forme Agamennone[2]. Sans avoir à y chercher le souvenir du roi homérique de Sparte, on ne peut que se rappeler, par contre, un Agamellon GRIMALDI podestat de Vintimille en 1335, et l’on sait bien que les prénoms se répètent dans la suite des générations…

 

Si l’on passe à une interprétation d’ordre toponymique, la remarquable – quoique parfois dérangeante au regard de certitudes bien établies - étude de Paul-Louis Rousset[3] mentionne une racine pré-indoeuropéenne MOR, MOUR, MUR,  avec la signification de « monceau de pierre, butte rocheuse » ; ainsi en kabyle (berbère) « ammur » pour un tas, un monceau ; en provençal, « mourre » désigne, avant la tête, la montagne :

 

«Auras beù courre

Per vau e mourre,

Ounte que vagues…»[4]

 

tandis qu’un « mouloun » (< latin multum) est une grande quantité, « un tas ».

On peut envisager une interférence des deux racines, ligure et latine, qui rend compte des fluctuations graphiques (le sens étant toujours le même, celui de « butte rocheuse »).

Certains font dériver Menour d’une racine pré-romaine MEN (= « hauteur, lieu pouvant être fortifié) et de OUR, OR pour Oratelli (nom d’un peuple ligure) : d’après la position du nom de cette peuplade sur la fameuse inscription de La Turbie, en

[1] SAIGE G. & LABANDE L.-H. Documents historiques relatifs aux seigneuries de Menton, Roquebrune et La Turbie du XIème au XVIème siècle, Monaco, 1909, p. 5.

[2] ALBERTI Abbé S. Istoria della Città di Sospello, contessa di Molinet, e di Castiglione, Turin, 1728, p. 50.

[3] ROUSSET P.-L. Les Alpes et leurs noms de lieux, 6000 ans d’histoire ? Grenoble, 1988.

[4] MISTRAL F. « Rodo que rodaras, au rode tournaras », in Lis Oulivado, 1912.

 

se basant sur la chronique de la campagne d’Auguste contre les peuples alpins, ils situent le territoire de ces Oratelli entre ceux des Intemelii (pays de Vintimille), des Vedianti (pays niçois), des Esubiani de la Vésubie et des Nemeturi.

Des chercheurs considèrent que des noms comme OÏra, Boïra (commune de Peille)[1], Oura (Menton), Montauri (Lucéram) et La Menour devraient perpétuer le souvenir de cet ancien peuple, qui résista héroïquement à l’envahisseur romain. Dans cette éventualité, Lamenor/La Menour pourrait signifier « la roche (le castellaras) des Oratelli ».

 

Il est, enfin, une possibilité d’explication, disons, politique, liée à l’histoire des institutions.

Le mallus, juridiction (en même temps qu’assemblée des habitants) est hiérarchisé en « mallus de la centaine » et « mallus de la dizaine », sous un vicaire ou centenier, un doyen ou dizenier, formant un pagus (« pays ») major et pagus minor[2]. Ce dernier ne pourrait-il s’appliquer à La Menour, par comparaison à Sospel ? Cet état ancien pourrait expliquer le bizarre terme de «décurion » employé au XVIème siècle pour désigner le représentant élu de Moulinet au Conseil de ville de Sospel[3].

 

Une communauté à travers l’Histoire.

Pas plus que la signification du nom de La Menour, l’évolution historique –du « quartier » et de la chapelle, les deux ne sont guère séparables – n’est facile à saisir[4].

Il convient, pour cela, de replacer les – rares – sources archivistiques dans le contexte des luttes incessantes que se livrèrent à partir du XIème siècle les puissances régionales : Provence, comté de Vintimille, commune de Gênes, et au-delà, l’Empire et la Papauté… par Guelfes et Gibelins interposés.

 

Un (très) bref rappel de notions de Géographie comme d’Histoire ancienne est ici indispensable.

Si les Alpes délimitent vers le Nord et l’Est une frontière naturelle entre la Gaule et l’Italie (Piémont), par contre avec la Ligurie, le relief détermine un compartimentage qui fut à la base de la constitution des unités politiques au Moyen Age.

Avec les conquêtes d’Auguste entre 16 et 14 avant J. C., c’est ainsi une ligne de partage des eaux Mt Clapier-Cap d’Ail (passant par la Cime du Diable, le Gros Braus, la Turbie) qui sépare Italia (province des Alpes Cottiennes, ancien royaume de Cottius) et Gallia (province des Alpes Maritimae, avec pour préfecture Cemenelum, Cimiez, puis Embrun), le Trophée d’Auguste, « in Alpe Summa » (à La Turbie) en figurant la somptueuse borne-frontière.

C’est cette limite qui détermina plus tard l’organisation religieuse, les évêchés « orientaux » dépendant de la province ecclésiastique de Milan, ceux situés à l’ouest (Cimiez puis Nice notamment) relevant de la province d’Embrun.

 

Traversant les siècles, nous arrivons en 1033 : le dernier souverain du royaume de Bourgogne, Rodolphe III, meurt sans enfant, en léguant ses états, dénommés également « royaume d’Arles » à l’Empereur germanique Henri II le Salique.

A l’est de la ligne de partage des eaux Clapier-Cap d’Ail, s’était constitué dans le courant du Xème siècle, le Comté de Vintimille, occupant les bassins de la Roya (avec son affluent occidental la Bévera) et de la Nervia.

Les comtes, qui prétendaient ne dépendre que de l’Empereur, avaient, depuis le XIIème  siècle, bien du mal à résister tant aux empiètements de la Commune de Vintimille qu’aux visées expansionnistes de Gênes, ballottés qu’ils étaient au gré d’alliances obligées avec l’une ou l’autre, alliances payées d’autant d’abandons de leurs droits, voire de parties du domaine comtal.

Leurs règles de succession ignorant le « droit d’aînesse », il arriva même que deux frères, co-seigneurs, co-titulaires de divers droits partiels sur un même bien, se retrouvent dans des camps opposés, et rendent hommage à des puissances ennemies…

 

C’est ainsi que, le 30 août 1157, Guido (Guy) Guerra, remet à la Commune de Gênes ses droits sur divers lieux (« Rocabruna[m], Gelbi, poipin, pena[m], casteglonem, Brochu, cespeel, Lamelor, Brel, la pennetam, Saurcium, la brigam et tendam[5] ») que la Commune lui rétrocède à titre de fief. Mais son frère, Otton, ne se livre à la même procédure, pour Roquebrune, Gorbio, Puypin et Penna, qu’en septembre… 1177.

 

Nous avons dans ce document la première allusion à La Menour, sans aucune précision toutefois quant à la nature de l’endroit, ni de son peuplement… Il en sera encore ainsi dans un acte du comte Guillaume (le fils aîné d’Otton) du 17 décembre 1192, par lequel celui-ci - en échange de l’intervention militaire de Gênes en sa faveur en cas de guerre avec la Commune de Vintimille - cède, en plus du « fodrum Vintimilii et districtus eius, Pennete videlicet, Chori, Melonii ,

[1] Mais pour André COMPAN (Illustration du nissart et du provençal, Toulon, 1990, p.156), l’étymologie serait plutôt à chercher dans le latin « ovaria », « lieu de dépaissance des ovins ». C’est également à une « pratique pastorale » qu’il rattache le nom de la Menour (in COMPAN, A. dir., Le Comté de Nice,  Paris, 1980, p. 384). « Menonus = capretto » (« chevreau » castré, ou non) Cf. ROSSI, G., Glossario ligure medioevale, Turin, 1896, p. 66.

[2] MONCHO R. Le Statut de la noblesse provençale à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle (« Escolo de Lérin » ; 14), Cannes, 1966.

[3] ALBERTI, abbé S. Istoria …, cit., p. 481 :  « …decurione, ò sia Consegliere »

[4] On fera abstraction de la légende qui attribue à la peuplade ligure des Vibères (Viberii)  l’occupation primitive d’un oppidum sur les ruines duquel se serait édifiée la chapelle. Cf. par ex. DURANTE baron L. Chorographie du Comté de Nice, Turin, 1847, p. 140.

[5] Liber Iurum Republicae Ianuensis, I/1, n° 190-191.

 

Castellioni et Podii Rainaldi per medium partiri debet et dividi[1] », alliance entérinée pour leur part le 4 mars 1193 par le comte Otton et son autre fils Henri.

 

C’est en 1200, semble-t-il, qu’apparaît pour la première fois la mention d’un castrum Meloni , lorsque les comtes Guillaume et Henri cèdent à Gênes la moitié qui est la leur des châteaux de « Penneta, Quous, Castiglione, La Menour e Poggio Rinaldo»[2]. L’autre moitié pourrait avoir, en fait, relevé de la Commune de Vintimille, suite à une cession antérieure faite par Guido Guerra[3], ce qui expliquerait que, dans les pactes intervenant à l’issue d’une révolte (1219-1222) des Vintimillois, vaincus, « il fut spécifié que tous les Vintimillois devaient être traités comme des citoyens gênois, et rentrer en possession des biens qu’ils avaient au début de la guerre, y compris dans Roquebrune, Castillon, Codolis et Lamenor. Mais ils devaient régler de lourdes dettes, et accepter un podestat gênois ».

 

Ces «castra», habitats fortifiés plus que «châteaux», il faut se les représenter comme des colonies militaires, subvenant à leurs besoins par leur activité agricole et pastorale, les soldats-paysans vivant là, en famille, sous l’autorité d’un châtelain nommé par le seigneur. A la communauté castrale est assigné un territoire[4], qu’elle contrôle et exploite à la fois, d’où des litiges, comme celui-ci, en 1235, qui met aux prises les habitants de Breil et ceux d’Amelone, et que relate Gioffredo :

 

« En ce temps-là, les habitants des deux lieux se disputaient au sujet des pâturages de l’Alpe, partagés entre leurs territoires. Alors qu’ils étaient sur le point d’en venir aux armes, le comte de Vintimille Manuel interposa son autorité, de telle façon que, lui ayant exposé leurs points de vues, ils s’engagèrent à s’en tenir à la sentence qu’il prononcerait. Ce qu’il fit, en faveur des hommes d’Amelone »[5].

 

La seconde moitié du XIIIème siècle voit un bouleversement politique de la région, avec la mainmise progressive du nouveau comte de Provence, Charles d’Anjou. Dans la région, celui-ci joue habilement des dissensions entre les membres de la famille comtale de Vintimille, surtout après l’assassinat, en 1257, du comte Raymond-Rostan.

Le 19 janvier 1258[6], à Aix-en-Provence, en présence de Pierre, évêque de Nice, de BARRAL des Baux, du professeur de Droit et viguier de Marseille Roger de LAVENO, le sénéchal de Provence et de Forcalquier Gérard de SACY reçoit de Guillaumin, comte de Vintimille, la promesse de celui-ci de céder au comte de Provence toutes les terres et les droits qu’il possède ou peut posséder dans le comté de Vintimille et le Val de Lantosque, en échange d’une terre (qui produise annuellement 5 000 sols tournois, et libre de toute charge, notamment des chevauchées et albergues) en pleine seigneurie, pour lui et ses héritiers, avec entière juridiction sur tous les hommes et chevaliers qui y habitent, et sur les étrangers qui y commettraient des délits. Le sénéchal promet, de son côté, de bannir de tous les états du seigneur Comte (de Provence) ceux qui sont soupçonnés du meurtre de Raymond-Rostan de Vintimille, frère du seigneur Guillaumin. Ayant touché comptant mille livres tournois, ce dernier fait sur les saints Evangiles le serment de remettre au comte de Provence toutes les terres ayant appartenu à son père, et spécialement les castra de Sainte-Agnès, Gorbio, Tende, la Briga, Castellar et Castillon, la moitié de Lamenour et de Codolis, tout ce qu’il possède dans le Val de Lantosque, et généralement tous les droits que son père pouvait détenir sur le comté de Vintimille, à Roquebrune, Monaco, San Remo et à Ceriana…

Parmi les témoins, on trouve un « dominus Bertrandi, et Alamannone »[7], glosé en « di La Menour» , mais qui pourrait aussi bien être le troubadour Bertran d’Alamanon (de Lamanon, dans l’actuel département des Bouches-du-Rhône).

 

Le 28 mars 1258, à Lucéram, toujours en présence du sénéchal de Provence Gérard de Sacy, représentant le Comte, assisté de l’évêque de Nice, de Bernard AYGLIER, abbé de Lérins, du Juge-mage de Provence, et des amiraux de Nice Guillaume OLIVARI et Jacques CAÏS, un échange semblable est conclu avec les comtes Boniface et Georges de VINTIMILLE, qui s’engagent à céder tous leurs biens et droits sur Sospel, Saorge, Breil, Pigna, Dolceacqua, Castillon, Lamenor, Codolis, Monaco, Roquebrune, Ceriana et San Remo. Ils recevaient en retour une terre à peu près aux mêmes conditions que celles consenties à leur cousin Guillaumin.

On aura noté la formule « qu’il(s) possédai(en)t ou pouvai(en)t posséder… » : c’est que, comme on l’a vu, depuis 1157 au moins, les comtes de Vintimille s’étaient successivement dépouillés de parts de leur dominium, et il fallait être bien expert pour dire ce qui revenait à chacun !

[1] Ibid., n° 421.

[2] Ibid. Cf. PAVONI R. « La Fragmentazione politica del  Comitato di Ventimiglia », in Le Comté de Vintimille et la famille comtale / Actes du colloque de Menton, 1997, Menton, 1998, p. 99-130, pour l’analyse de toute cette série d’actes complémentaires.

[3] PAVONI, Op. cit.

[4] ROSSI G. Glossario medioevale ligure, cit., p. 59.

[5] GIOFFREDO abbé P. Storia delle Alpi marittime, libri XXVI, Turin, 1839, éd. In-f°, livre IX, col. 537 : «Contendevano in questo tempo insieme gli abitanti di due luoghi del contado di Ventimiglia, cioè quelli di Breglio, ed Amelone, ora castello disabitato, per i pascoli delle Alpi trammezzate ai territori d’ambedui [Arch. Hospitelli]. Essendo in procinto di decidere con l’armi le loro pretensioni, Manuele conte di Ventimiglia v ’interpose a tempo la sua autorità in modo, che avendo compromesso in lui le loro ragioni, s’obbligarono a stare alla sentenza, che avvrebbe sopra questa pronunciata, come appunto fece in quest’anno, ed in favore degli uomini di Amelone»

[6] Ou le 23 février, selon les auteurs. Il s’agit en fait d’un problème de correspondance  des calendriers…

[7] R. PAVONI, Op. Cit., p. 121,

 

Aussi, on comprend la hâte mise par Charles 1er à se faire jurer fidélité par les habitants des lieux cédés : dans la région de Sospel, il délégua à cette fin l’évêque de Nice, Pierre, les amiraux de Nice, Guillaume OLIVARI et Jacques CAÏS, nous dit Gioffredo[1].

La tournée des envoyés provençaux devait revêtir une importance particulière, et nous vaut un acte, cité in-extenso par ce même Gioffredo, par lequel ils récompensent le sieur Guillaume PELLEGRINI, de Sospel, pour son entremise dans la prestation de l’hommage au comte de Provence par les habitants de Lamelone et de Codolis :

 

« Perchè, per disporre al suddetto giuramento di fedeltà quelli di Lamenor, e Codelis, castelli ora disabitati, Guglielmo Pellegrino di Sospello aveva non poco contribuito, [gli Ammirali] confermarono a nome del conte di Provenza, e concessero diverse franchigie a lui, ed a’ di lui successori, specificate nella seguente carta :

 

« In nomine Domini, amen. Notum sit praesentibus, et futuris, quod nos, Guilielmus Olivari, et Iacobus Caysii Admiralli illustrisssimi domini Caroli Dei gratia Comitis Provinciae, et nomine ipsius domini Comitis, propter servitia, quae vos Guilielmus Pelegrini contulistis nobis recipientibus  nomine ipsius domini Comitis, et specialiter super homagio, et fidelitate facienda nobis, et recipienda nomine dicti Comitis ab hominibus de Lamelone, et de Codolis, remittimus, concedimus, et desemparamus, nomine ipsius domini Comitis Provinciae, vobis Guilielmo Pelegrini omnes franquesias, ac libertates, et iura, et bona consuetudines scriptas, vel non scriptas, praesenti et recipienti pro vobis, et vestris heredibus in perpetuum, sicut hactenus habuistis, usque in hodiernum diem. Et etiam volumus, et concedimus vobis, et vestris heredibus etc. quod cum avere vestro possitis ire, et pascere per totum comitatum Provinciae, ubicumque vobis placuerit, sine pascherio seu herbagio dando domino Comiti, quod est quinque solidorum pro quolibet pastore etc. »

« Actum in castro de Lamelone, in colla dicti castri, anno a Nativitate Domini MCCLVIII, ianuar, die XVIII. Testes Petrus de Pilia, Guilielmus Consul, Guilielmus de Castello de Luceramo, et Guilielmus Conradus de Lamenone etc. »

 

Ce document nous intéresse tout spécialement, à plusieurs points de vue. D’abord, parce que la récompense donnée à Guillaume PELLEGRINI, l’exonération, à perpétuité, du droit d’herbage sur quelque terre que ce fût, dans tout le domaine comtal, représentait un privilège «de taille»[2], à la hauteur du service rendu. Ensuite, parce qu’il démontre l’autonomie des castra de Codolis et de Lamenone par rapport à Sospel, puisqu’il aura fallu l’entremise d’un homme d’influence, sans même qu’on ait évoqué la possibilité d’un recours à l’acte d’autorité. Enfin, parce que nous y trouvons, parmi les témoins, la mention d’un « châtelain », Guillaume Conrad de Lamenone.

Cet acte peut encore nous suggérer une « hiérarchie » entre les deux castra de Codolis et de Lamenone, puisque, bien que les deux communautés aient été concernées, c’est à Lamenone que les amiraux OLIVARI et CAÏS se rendent pour instrumenter, et sans doute est-ce là qu’ils avaient reçu l’hommage des habitants… La qualité de l’hébergement y était-elle supérieure ? Il était peut-être déjà plus facile, en tout cas, d’y rassembler un grand concours de population ? Comment ne pas évoquer, malgré le risque d’anachronisme, l’affluence des modernes - sinon actuelles - fêtes « de la Madone » sur la place de la chapelle de Notre-Dame ?

 

Malgré la résistance de Gênes, et la révolte des membres « tendasques » de la famille comtale de Vintimille (Guillaume-Peire, Pierre Balb), révolte qui se conclut par un traité du 18 décembre 1285, qui attribue à Charles II d’Anjou (« le Boîteux ») les châteaux de Sainte-Agnès, Quous, La Menour et Castillon, l’expansion provençale se poursuivra imperturbablement dans le siècle suivant, et, en 1335, la « viguerie de Vintimille et du val de Lantosque » intègre enfin Vintimille[3]. Mais alors, semble-t-il, Codolis et Lamelone disparaissent de la liste des communautés, remplacés par Moulinet, dont c’est la première occurrence.

 

La limite orientale du comté de Provence s’étant déplacée vers l’est, les castra de la région sospelloise perdent leur intérêt stratégique : les enquêtes sur les revenus de Charles 1er d’Anjou, en 1252, montraient « Castrum de Brau, dirrutum » ; « castrum de Codol est castrum dirrutum quod est d[omi]ni comitis»[4].

 

[1] Storia… Op. Cit,, col. 593-594 : «…avendo Carlo Conte di Provenza in virtù della suddetta convenzione col Conte Guglielmino acquistate ragioni sopra il contado di Ventimiglia, non indugiò di prenderne il possesso, e di procurare di farsi giurare la fedeltà dagli abitanti de’ luoghi in quello compresi. Avendo a questo fine deputato i sopranominati Pietro Vescovo, Guglielmo Olivari e Giacomo Cays Ammiragli della città di Nizza, portatisi questi due ne’ contorni di Sospello… »

[2] Ce droit d’herbage, nous précise l’acte, s’élevait à 15 sous par « pastore », c’est-à-dire par unité de compte (50 têtes) des ovins, cf. ROSTAN F. Storia della contea di Ventimiglia, Bordighera, 1971, p. 50, note 1.

[3] ROSSI, Storia…, Op. Cit., p. 117-118.

[4] MONCHO R. Le Statut…, cit., p. 56, d’après CAPPATTI L. « Castra dirupta et points de recherches : le comté de Nice », Bulletin de l’Institut des fouilles de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes-Mmes, III, 1954-1955, p. 121-145. 

Pour E. BARATIER (Enquêtes sur les revenus de Charles 1er d’Anjou…, Paris, 1969,  p. 238), toutefois, Codols y est situé «in confinibus de Todone», et même si sa localisation pose problème, il ne s’agit pas de notre Codolis

 

Le peuplement, toutefois, perdure au long du XIVème siècle, et les archives du diocèse et de la cour épiscopale de Vintimille conservent les traces de transactions relatives aux dîmes attachées aux revenus des « terres de Monseigneur l’Evêque » à Codolis et Lamenor :

 

1357, 12 août.- Vente à Guglielmo Sardo, notaire, et à Martino Olivari, tous deux de Sospel, de deux parts des dîmes de l’Evêque [Ruffino] (dîmes du pain, du grain et du vin du territoire de Sospel, d’Amenone et de Codolis) pour 60 florins, à 30 sous le florin[1].

1372, 23 septembre.- Concession des terres de l’Evêque sur le territoire de Sospel et d’Amenone, pour les cultiver, aux sieurs Raimondo Durante et Raimondo Remusati, pour une durée de 9 ans, au prix de 4 florins et un chevreau.

1372, 26 octobre.- Reçu de Raimondo Durante de Sospel, pour l’usage de la terre de l’Evêque sur le territoire d’Amenone dans l’année écoulée : 4 florins de la valeur de 6 livres 8 sous, plus 1 chevreau.

1377 - Une charte de Mgr. Ruffino fait allusion à un cens du pour Codolis, « qui tombe en ruine et est déserté par ses habitants »[2].

1380, 12 mars - Robert, évêque de Vintimille, vend la dîme du grain, des légumes et « delle bestiole » qui lui est due sur les territoires d’Amenone et de Codolis par les hommes de Sospel, pour la durée de 2 ans, au prix de 15 florins de 32 sous.

1388, 7 mars.- L’évêque de Vintimille, Pierre Marinaco, nomme les administrateurs des revenus qu’il reçoit au lieu de Sospel, tant pour les dîmes que pour les revenus des terres et de l’église de Saint-Pierre, de Castillon, d’Amenone et de Codolis, et toute autre qui lui est due.

1401, 18 juillet.- Vente à Bartino Baverio de Lucéram de la dîme du grain et des légumes due par les hommes de Lucéram sur le territoire de Codolis, au prix de 9 florins.

1402, 28 mars.- Vente de la dîme du grain et des légumes « alors en souffrance » due sur les territoires d’Amenone et Platis (« Piastra ? ») au prix de 24 florins 32 sous.

1403, 18 juin.- Vente à Pietro del Castello, fils de Filippo de Lucéram, de la dîme due par les hommes de Lucéram sur le territoire de Codolis, au prix de 12 livres 10 sous.

 

Les sources archivistiques, d’origine sospelloise, montrent au XVème  siècle une transformation du nom de l’Amenor ; plus exactement, on va avoir affaire à une confusion (au sens propre) avec Moulinet :

1448, 8 juin.- « aveu » pour un quart des herbages au duc de Savoie sur les « loci Sespitelli, Castilloni et Molinetti sive Amenonis… »[3].

1450.- Reconnaissance des droits du Duc aux lieux de La Bollène, Sospel, Castillon et Moulinet (« Amenonis seu Molinetti »)[4].

Mais, lorsque le duc de Savoie Louis, par un acte du 3 septembre 1448, cède le quart des herbages sur les lieux de Sospel, Castillon et Moulinet à ces communautés moyennant un cens annuel de 60 florins, il n’est pas question d’Amenonis[5].

Ce « flottement » toponymique nous incite à imaginer un événement dramatique, survenu à une date qui demeure inconnue, mais qu’on peut rapporter à la fin XIVème - début XVème siècle : l’abandon du castrum  Amenonis, suite à sa destruction par un incendie :

 

« … homines habitantes in Mollineto carreria loci Sospitelli, asserentes quod olim castrum de Amellone, quod territorium separatum habebat, incendio combustum fuerat, et homines in ipso castro habitantes, inter quod erat quidam Truchi et Turelli, praedictum locum Mollineti inhabitaverant, et sub protectione loci Sospitelli se posuerunt cum territorio ipsius loci Mollineti quod prius castro Amelloni fuerat assignatum… [6]».

(« les habitants de Moulinet, quartier de Sospel [ou : sur la route de Sospel ?] affirment que le castrum d’Amellone – qui avait un territoire distinct – fut brûlé dans un incendie, et que ses habitants, parmi lesquels certains TRUCHI et TORELLI, vinrent habiter audit lieu de Moulinet, et se placèrent sous la protection de Sospel, ainsi que le territoire de ce lieu de Moulinet, qui était appelé auparavant Castrum d’Amellone » [ou : qui était assigné auparavant au castrum d’Amellone ? ].

 

Se pourrait-il qu’il y ait eu, jusque-là, deux entités différentes : Amellone, castello des comtes de Vintimille, juridiquement indépendant de Sospel, d’une part, et une colonie sospelloise, Moulinet, qui absorbe à un moment donné la population et le territoire du précédent ? Les sources d’archives ne nous montrent que la substitution d’un nom à l’autre, sans qu’on ait le moindre élément de datation. Le fait que Moulinet soit cité sous ce nom en 1335 nous laisse penser à la coexistence, pendant un temps, des deux localités voisines.

[1] ALLARIA OLIVIERI Dom N. « Atti dei vescovi ventimigliesi nei sec. XIV-XVI in Sospello », Recherches Régionales, n° 161, janvier-mars 2002, p. 39-62..

[2] ROSSI, G., Storia…, Op. Cit., p. 145.

[3] Cf. PASTORIS J. « Etude sur les anciens règlements de Sospel »,  Nice Historique,  1942, n° 3, p. 109.

[4] A.D.A.M., E 49/1, Arch. Sospel, AA 1.

[5] A.D.A.M., Fonds Città e Contado di Nizza, mazzo 49, n° 4.

[6] Transaction de 1548 entre Sospel et Moulinet, éd. PASTORIS J. « Etude sur les anciens règlements de Sospel », Nice Historique , 1942, n° 3, p. 99.

 

Il est pour l’instant impossible de déterminer l’implantation de notre Amenone, pour lequel deux sites sont envisageables : sur l’esplanade actuelle de la chapelle, avec un élément de fortification sur le piton dit «le château», et sur la crête la plus proche en amont - où l’approvisionnement en eau était plus facile - avec une fortification-refuge à l’emplacement de Notre-Dame. La mention «Actum in castro de Lamelone, in colla dicti castri» (« Fait au castrum de Lamelone, sur la colline du château ») peut s’appliquer aux deux situations, sans permettre de trop s’avancer, les documents cadastraux successifs, quant à eux, concordant sur l’appellation de l’Amenor puis la Menour de tout ce « quartier ».

 

L’évolution du bâti.

Constructions particulières.

Il est bien difficile de donner un âge aux divers îlots de constructions dont les ruines s’aperçoivent aux alentours de la chapelle N.D. de la Menour. Une source archivistique particulièrement « parlante » peut être le procès-verbal de la Visite des routes et ponts de Moulinet, dressé en août 1787, qui décrit très précisément les propriétés riveraines du tracé de l’ancienne route muletière de Sospel[1].

L’ancien catasto sarde (qui ne comportait pas de plans) ayant apparemment disparu pendant les guerres de la Révolution, on devra comparer les données obtenues pour le XVIIIème siècle avec le premier cadastre « napoléonien », terminé, pour Moulinet, en 1813, et éventuellement le plan « pré-cadastral » de 1806, conservé au musée de la chapelle Saint-Antoine à Moulinet.

 

Pour des époques plus anciennes, seul un dépouillement systématique des registres de l’Insinuation[2] permettrait de se rendre compte – quoique de façon très partielle, puisque les actes ne portent que sur les mutations soumises à l’enregistrement – de l’état et de l’évolution du bâti.

Parmi les bâtiments d’usage, le martinet ou « moulin à fer » des frères CIAIS apparaît, dans le P.V. de la visite des routes… de 1787, comme distant de la chapelle (en direction de Moulinet) d’une quarantaine de mètres (14 trabucchi, de 3,144 m), un autre, celui des frères Antonio et Stefano (Etienne) TORELLI étant encore  moins éloigné.

Une telle concentration évoque un type d’habitat permanent disparu ensuite à Moulinet, mais que l’on connaît encore sur le terroir de Sospel, avec de véritables hameaux tels que Beroulf, Gerbaïas, etc.

 

La chapelle N.D. de la Menour.

Seul bâtiment subsistant (à part une grange transformée en chalet d’habitation de week-end, et une bergerie), et classée à l’Inventaire des Monuments Historiques et Sites depuis le 22 mai 1937, la chapelle n’apparaît en tant que telle que dans le Catalogue des églises, couvents, monastères, bénéfices et lieux près du diocèse de Vintimille dressé en 1758[3].

Alberti[4] évoque – à propos de la séparation de la paroisse de Moulinet d’avec celle de Saint-Michel de Sospel en août 1500 – l’existence d’une église :

« il Priore della Collegiata di Sospello, da cui nello spirituale dipendêa il Molineto, era solito di collocar un Sacerdote alla Chiesa di Nostra Donna d’Ammenone col titolo di Priore per esercire colà le Fontione Parochiali ». Toutefois, l’acte du 19 août 1500, portant « Dimembratio Parochialis eclesia de Molinetto cum eretione novae Eclesia » est muet quant à la désignation, et la localisation, de cet ancien lieu de culte moulinois[5].

 

Les archives faisant défaut, c’est vers les archéologues et historiens de l’art qu’il convient de nous tourner. Pour Luc Thevenon[6], qui souligne « l’importance des éléments romans de cette église pour la connaissance de l’histoire à la fois seigneuriale et religieuse de la haute Bévera […] l’abside [nord-ouest] proche de la façade, [la] plus ancienne, [qui] présente un appareil irrégulier de petites dalles (…), pourrait remonter au début du XIIème siècle. L’abside nord-est, avec un appareil de pierres équarries permettant une stéréotomie soignée, [avec] une corniche en ¼ de rond, serait d’un siècle plus tardive (…). A l’est, une partie du mur latéral reste en place et indique que l’édifice roman barrait complètement l’éperon ».

 

En outre, « à l’articulation de l’abside nord-est et du mur latéral subsiste une baie à la fente très régulière. (Eut-elle la fonction d’archère ? Certainement, si la crête dominante ne fut pas fortifiée). Cette église avait donc un rôle dans la défense de l’accès du château de la Menour, probablement situé sur l’escarpement qui domine directement le méandre de la Bévéra, une vingtaine de mètres plus haut. C’est ce qui explique qu’elle n’était pas ‘orientée’ mais axée vers le nord-est ».

« Un agrandissement par inversion de l’orientation, avec chœur à l’est, a été réalisé beaucoup plus tard, [pas antérieurement à] la seconde moitié du XVIIème siècle ».

 

[1] ADAM, E 49/16, Arch. Sospel DD 18.

[2] ADAM, C 957 à C 969 : Moulinet, 1610-1792.

[3] Les mentions antérieures de la Menour, dans les chartes de l’évêché de Vintimille, font état des « terres de l’Evêque » et des dîmes qui y sont attachées, mais ne disent mot d’une quelconque chapelle et des droits du prieur qui en aurait la charge…

[4] ALBERTI abbé S. Istoria della Città di Sospello contessa di Molineto, e di Castiglione…, Turin, G. F. Mairesse, 1728, p. 560.

[5] ADAM, E 49/16, Arch. Sospel DD 6. Pour Luc THEVENON (« Les Arts dans le pays sospellois », Nice Historique, 1999/3), p. 159-185, la chapelle Saint-Michel pourrait avoir été cette première église de Moulinet.

[6] Ibid., p. 162-163.

 

Le XIXème siècle apporta d’autres agrandissements et remaniements, car la chapelle, qui avait au fil du temps changé sa fonction d’oratoire local en celle de sanctuaire de pèlerinage, lieu traditionnel des processions des lundis de Pâques et de Pentecôte et de la fête de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre, dut être mise en état d’accueillir des fidèles en nombre sans cesse croissant, l’apogée démographique du village se situant vers 1860-1870…

 

Le plan cadastral de 1813 montre, en saillie sur la façade de la chapelle, une minuscule parcelle non numérotée qui pourrait représenter un porche sous auvent[1]. Ce dispositif, répandu ailleurs, semble avoir été unique sur le terroir de Moulinet. Comme y est unique, dans les chapelles rurales, la tribune ajoutée en mezzanine au-dessus d’un vestibule gagné par l’avancement de la façade qui a absorbé – à un moment difficile encore à préciser, mais compris entre 1813 et l’aube du XXème siècle - l’avant-corps en saillie, nécessitant la surélévation évidente de l’ensemble de l’édifice.

La trace de cette surélévation est toutefois visible sur un étonnant dessin à l’encre d’Augustin CARLONE, daté de 1865, « romantiquissime » vue en contre-plongée prise de l’arrière du sanctuaire[2].

 

Le haut fronton baroquisant (dont la perspective choisie par l’artiste explique qu’il n’apparaisse pas sur le dessin de CARLONE) est-il le souvenir d’un état antérieur[3], ou remonte-t-il à cette dernière extension ?

La « nouvelle » façade, percée seulement d’une large entrée en plein cintre surmontée d’un fenestroun donnant du jour à la tribune, a fait l’objet d’une décoration propre à accentuer l’aspect prestigieusement monumental de l’édifice : deux jeux de pilastres engagés, cannelés, en stuc ou seulement peints en trompe-l’œil, encadraient l’entrée, « supportant » une corniche au-dessus de laquelle s’épanouissait le fronton, lui-même orné de bossages géométriques en trompe-l’œil.

Les réfections contemporaines n’ont malheureusement pas respecté ce parti, et un monogramme de fer forgé, s’inscrivant dans une ouverture circulaire pratiquée dans le fronton, fut longtemps seul à animer une nudité affligeante, avant que l’ultime restauration ne renoue – timidement - avec l’ancienne polychromie, par une délicate frise de rinceaux soulignant la corniche, tandis que des rinceaux ornent également le fronton.

 

Le viaduc et l’escalier monumental.

Indissociables de la chapelle, viaduc et escalier de N.D. de la Menour sont encore plus difficiles à appréhender du point de vue de l’historien. Si les sources archivistiques sont rares et lacunaires en ce qui concerne le sanctuaire, on n’est pas mieux loti pour cette prodigieuse voirie de desserte. La bibliographie n’est guère abondante, mais, par contre, les auteurs concordent à faire remonter la construction du pont à l’époque de l’agrandissement de la chapelle, au XVIIème siècle[4].

 

Un point, toutefois, pose problème : ce viaduc, indispensable pour enjamber la route D 2566, devait-il nécessairement être aussi imposant à une époque où le chemin muletier de Sospel à Moulinet (la route carrossable n’a été ouverte que vers 1881-82) passait à flanc bien au-dessus du niveau de la route actuelle. Celle-ci a été taillée en tranchée sous le viaduc, qui lui préexistait. On reconstitue aisément en imagination le profil du terrain tel qu’il se présentait jusqu’aux dernières décennies du XIXème siècle, et on se demande alors si un ouvrage d’une telle portée était bien indispensable, puisqu’un piéton, partant du niveau du rocher en rive est de la route rejoint, sans trop de peine aujourd’hui encore, la volée d’escaliers en pas d’âne qui mène à l’esplanade de la chapelle… Un piéton, mais des animaux de bât ? Certes, l’objection est valide. Mais la chapelle est voûtée (les constructions préexistantes étaient en pierres sèches), et la chaux - voire les tuiles - s’est toujours transportée dans des hottes ; alors, pourquoi vouloir faire monter là-haut des bêtes de somme ?

 

La seule tâche qui eût pu mobiliser ces précieux auxiliaires que sont les mulets était le transport de poutres, qu’il fallait de surcroît faire venir d’assez loin, du Cimon par exemple… L’Adrech de la Menour ne risquant pas - à plus forte raison à des époques où l’emprise agricole était à son apogée - de fournir le bois convenable.

 

Evoquer un besoin « massif » de bois de charpente peut nous reporter à deux moments - passablement éloignés l’un de l’autre - de l’histoire de la chapelle :

- lors de son agrandissement au XVIIème siècle, où l’on a dû recourir à des échafaudages complexes ( ?) pour travailler, en particulier, à la partie sud de l’édifice, qui domine directement le vide ;

- lors de l’adjonction de la tribune, dans le courant du XIXème siècle, tribune dont le plancher, à lui seul, dut « consommer » quelques belles poutres…

 

Deux indices font penser qu’en effet, le viaduc de la montée à la chapelle, au moins, pourrait n’être que beaucoup plus tardif que le restant du site : la pile de la première arche, à l’est, porte la date de 1838 gravée sur une pierre[5] ; mais surtout, le viaduc, élément pourtant remarquable du paysage, n’apparaît pas dans le P.V. de la Visite des routes et des ponts

[1] ADAM, (CE) P 207/7-8

[2] Nice, Musée Masséna, bibliothèque, inventaire n° 419.

[3] En tant qu’élément architectural, bien entendu !

[4] Cf. PRADE M. Les Ponts, monuments historiques, Paris, Errance, 1988, p. 63 ; MURATI Ph. Ponts de Provence…, Nice, Serre, 1994, p. 64.

[5] Date qui peut se rapporter à n’importe quelle réparation, certes…

 

de Moulinet, en août 1787, alors même que la tornata du 29 « démarre » « en bas des degrés de l’accès, au pied de la muraille[1] » de N.D. de la Menour !

 

Autre bizarrerie, le pont – qui aurait pourtant pu permettre de faire monter « du canon » sur l’esplanade de la chapelle, poste inexpugnable contrôlant le chemin de Sospel le cas échéant – n’est même pas mentionné dans les rapports des ingénieurs militaires français de la guerre de Succession d’Autriche (1742-1749)[2], ni par le général GARNIER, dans les années 1802-1806[3].

 

Les A.D.A.-M. détiennent, dans leur « Fonds sarde » (1814-1860), les dossiers de travaux communaux (voirie et bâtiments publics) communiqués à l’Intendance[4], et l’on y trouve une assez volumineuse documentation, datée 1839-1845, sur les « riparazioni da farsi attorno la strada per salire al santuario della Maddona dell’Amenor e riparazione alla strada comunnale tendente a Sospello, colla formazione di un Ponte…[5] ».

 

Il s’agit en réalité de deux opérations différentes, le « pont » dont il est question se trouvant « al sito bedali della Bonda ». Mais l’Atto consolare (délibération du Conseil municipal) de nominato del Perito (désignation de l’expert, le géomètre G[iovanni] Battista ROSTAGNI, de Sospel), en date du 16 juin 1839, parle des « riparazioni attorno la costruzione d’un ponte per salire all’ santuario dell’ Amenor cui la popolazione ha molto venerazione, resta in ora indispensabile la riparazione a farsi alla detta strada, che dal detto ponte tende al ridetto santuario, essendosi la salita resa impraticabile… [6]».

 

La syntaxe de cet ensemble de textes est passablement confuse, mais il semble ressortir de ces documents qu’on a exécuté alors des travaux d’envergure, qui ont profondément remodelé le site pour en faire ce que nous connaissons. En l’état actuel de nos recherches, rappelons prudemment que cela reste du domaine de l’hypothèse…

[1] ADAM, E 49/16, DD 18.

[2] Par ex. MILET DE MUREAU, cf. CAPPATTI L. « Quand les Français occupaient Moulinet en 1748 », Nice-Matin [Monaco], 17 oct. 1962  (AM Nice, ex-2 S 116) ; Extraits et résumés des principaux mémoires et itinéraires concernant le comté de Nice… [manuscrits], AM Nice, ex-2 S 272.

[3] GARNIER P. Mémoire local et militaire sur le département des Alpes-Maritimes [manuscrit, 1806 ?], AM Nice, Ms 4 ; éd. Paris, imprimerie du Service géographique, 1888.

[4] A.D.A.-M., Fonds sarde, 1 FS 92 (ex-225 et 226)

[5] « Réparations à faire à la route pour  monter au sanctuaire de la Madone de l’Amenor et réparation de la route communale vers Sospel, avec l’établissement d’un pont ».

[6] « Réparations à [ou : « aux alentours d’un ? »] un pont pour monter au sanctuaire de l’Amenor pour qui la population à beaucoup de vénération ; il est indispensable de réparer cette route, qui dudit pont va au dit sanctuaire, la montée étant rendue impraticable ».

 


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