Charles Alexandre FIGHIERA (+), historien et
archiviste, fut l’un des maîtres de nombreuses générations de chercheurs
du Comté de Nice. Il fut à l’origine, avec Luc THEVENON, du sujet de
maîtrise de votre serviteur. Sa connaissance profonde des sources lui
permit une abondante littérature qu’il utilisa pour entrer dans
l’intimité des communes et des individus croisés au grès de ses
périgrinations érudites.
La commune de Valdeblore est fondée le 10 juillet
1669
devant la chapelle de la Très Sainte Trinité et La Roche
,
où se réunissent ses représentants « en un seul corps ». Le Sénat de Nice
arbitrait alors une série de différents qui avaient mené à une séparation
effective des trois villages, en 1656. Cette ré-unification est l’oeuvre
du sénateur Michel-Ange LASCARIS, du notaire ducal
Jean-Baptiste GIUGE de Saint-Martin, et de l’Avocat des Pauvres du
Sénat de Nice Pierre GIUGLARIS, en présence des bails de Saint-Dalmas
Pierre CHIAIS, Jeannet GRAGLIA vicaire de La Roche et La Bolline, Claude
GIUGE syndic de La Roche, Claude GRAGLIA syndic de La Bolline, et de tous
les chefs de famille du lieu
.
Tous renoncent à l’acte de division de 1656,
demandent l’union des biens, revenus et dettes. L’élection des syndics
conjoints est fixée à la fête des Rameaux, avec préséance publique par
roulement, Saint-Dalmas, La Roche puis La Bolline. Il est également
convenu que les Conseils et Parlement se tiendront devant cette chapelle
de la Très Sainte Trinité, en cours de construction. Un syndic et cinq
conseillers représenteront Saint-Dalmas, un syndic et deux conseillers
pour La Roche comme pour La Bolline, soit douze voix formant le Conseil.
Il est prévu qu’en cas de vote égal, il sera fait appel au tirage au
sort. Chaque particulier conserve le droit d’intervenir au Parlement,
mais la décision finale reviendra au Conseil. Chaque communauté élira son
bail, représentant local de la justice du duc, l’équivalant du Juge de
Paix du XIXème siècle, pour Saint-Dalmas et son vicaire pour La Bolline
et La Roche. Un seul secrétaire sera nommé pour les trois lieux. Le
notaire sera également choisit annuellement par roulement entre
Saint-Dalmas, La Roche, La Bolline. Trois campiers, gardes champêtres,
seront nommés et payés par le lieu de nomination.
Vient ensuite la refondation des ordonnances
communes. Le Conseil approuve préalablement les droits de bans, de
contrainte, déclarés des campiers. Le cas particulier de Mollières est
évoqué. Il lui est conservé sa juridiction partagée d’avant 1656.
Arbitres et autres officiers députés par le Conseil seront nommés à
raison d’un par lieu. Le cadastre devra également être mis en réfection
et établit avant un an. Des « estimateurs » sont nommés. Il s’agit de
Jean-Baptiste GIUGE
de Saint-Martin, Christophe GAETTI et Barthélémy GIUGLARIS de
Roquebillière. Une dernière règlementation fiscale est acceptée par les
contractants : l’égalisation des dettes, à effet rétroactif jusqu’en
1656, afin d’assainir les finances communales. Les bois et les pâturages
retrouvent leur nature indivis, et le cas particulier du pâturage de La
Colmiane est réglé par sa division en trois lots, que chaque communauté
tire au sort annuellement.
Le développement urbain de La Bolline et de La Roche
obligea à une nouvelle adaptation de cette réglementation, vers 1716, du
traité de 1669. Le Valdeblore devait alors élire trois syndics, répartis
équitablement entre les trois lieux, et six conseillers de même. Le
premier syndic obtenait la préséance par tour de rôle. Celui-ci avait
droit de présenter trois noms de candidats capables, dont un seul, tiré
au sort, le remplaçait à la charge du syndicat, véritable système de
cooptation. De même pour les autres, suivant leur lieu. Les six candidats
non-syndics étaient alors nommés conseillers. La réélection n’était
théoriquement pas possible avant trois ans, mais cette disposition ne fut
pas appliquée, comme dans de nombreuses communautés du Comté de Nice, par
« manque de personnes capables », mais aussi par la volonté de
l’oligarchie locale de ne pas partager son pouvoir.
Ainsi renaissait institutionnellement une ancienne
communauté médiévale, géographiquement élargie et politiquement renforcée
par l’adjonction des nouveaux habitats de La Roche et de La Bolline,
particularité du Valdeblore, espace géographique cohérent et urbain
« éclaté ».
2-
HILDESHEIMER E. « Utelle d'après ses anciennes
chartes », in Nice Historique, 1952, pp. 7-34
Ernest HILDESHEIMER est également l’un de
nos grands devanciers. Sa gentillesse et sa disponibilité ont longtemps
permis de soutenir les recherches des étudiants.
Le village d’Utelle tient une place centrale sur le
chemin allant, depuis Nice, vers la Tinée ou la Vésubie, et jusqu’à
Barcelonnette. Lieu de passage, il est connu de toute antiquité, même si
la discussion actuelle tend à mettre en évidence une multiplication des
sites d’habitats dans cette région. Le village lui-même correspond sans
doute à l’un d’eux. Sa position exceptionnelle est sans doute à l’origine
de son succès et de l’installation du village médiéval.
1°) Privilèges de la Communauté / Droits du
souverain : Le village faisait partie du domaine direct du souverain
,
qui promet de ne jamais inféoder la communauté. Utelle fait partie de la
viguerie du Comté de Vintimille et du Val de Lantosque. Malgré ces
promesses, la Reine Jeanne la donne à Antoine GRIMALDI de Gênes, en 1352.
Les habitants résistèrent par les armes, empêchant le seigneur d’en
prendre possession
.
La reine Jeanne finit par confirmer le privilège de la communauté.
Charles III Duras, confirme ses coutumes en 1383, ainsi que celles de
Saorge, Pigna, Breil, Peille, l'Escarène, Lucéram, Lantosque, La Bollène,
Belvédère, Roquebillière, Saint-Martin, Venanson, La Tour, Saint-Dalmas,
La Roche, La Bolline, Clans, Gordolon, La Roquette, Loda. Le baile local
est nommé par le Conseil des communautés. L'entretien des châteaux et de
leurs garnisons est assurée par la gabelle du sel de Nice.
Au moment des déditions, Amédée VII de Savoie,
reçoit, le 13 octobre 1388, à Nice, les contrats des communautés et
confirme de nouveau ses privilèges acquis à différents moments de son
histoire. Ce qui n’empêche pas ses successeurs de vendre Utelle, le 14
octobre 1699, au médecin niçois Jean RIBOTTI, qui en rachète sa dette
auprès du Fisc Royal.
2°) La forêt de Manoinas : C'est la
plus grande richesse de la communauté. Les Utellois ont lutté pour se
faire reconnaître leur droit coutumier de s'y procurer le bois, usage
reconnu finalement le 4 mars 1359. Malgré sa concession l’année suivante
à un familier de la Reine Jeanne, les Utellois y maintiennent leurs
coutumes. Les terres peuvent y être cultivées comme à l'accoutumé, contre
la redevance du treizième de la production au seigneur et la dîme des
blés à l'église Saint-Véran d'Utelle. Pour cause de son éloignement, le
nouveau seigneur ne peut véritable y faire valoir ses droits. Il la vend
à la communauté, qui l'acquiert pour 600 florins d'or de Florence, de 37
sous parvorum l'un. Vente irrégulière, que Jeanne ratifie
finalement contre le paiement d'un cens, celui d'une paire de gants de
chamois, bientôt transformé en cens en numéraire.
3°) Le Figaret : Terre de Lantosque,
Utelle l’achète en 1459 contre un service de 28 sous parvorum et 1
patac, pour 360 florins de 32 sous parvorum. La vente dut être
refaite pour conserver les droits du duc de Savoie. Lantosque chercha, en
1482, à le récupérer, sans succès. Cet espace, comme le précédent,
s’inscrit dans les territoires de périphéries, acquis tardivement par les
villages installés. Ils faisaient vraisemblablement parti d’ancienne
communautés alors disparues.
4°) Organisation municipale : Comme toutes
les communautés du Val de Lantosque, Utelle est une Universitas
qui est administrée par une assemblée de chefs de famille (Parlement), se
réunissant après proclamation publique ou commandement du baile. Un
Conseil aux membres désignés représente l'exécutif. Un baile, officier de
justice est désigné par ce Conseil, aux pouvoirs de basse justice, et
moyenne justice depuis 1491, en matière de tutelles et successions. Des
syndics et autres agents complètent l'équipe. Le 17 août 1533,
l'assemblée se réunit sous les syndics Jean CABANAL, Jean FERAUD et Jean
ROUBAUDI, avec le baile Jean CRISPINI, pour adopter les statuts
municipaux.
Quatre électeurs du baile sont tirés au sort, ceux
dont les noms auront correspondu aux fèves noires, qui ne peuvent élire
aucun membre de leur famille. Chacun désigne trois hommes capables. Le
baile est élu parmi ces douze personnes, à la fève noire, pour un an,
rééligible seulement au bout de six ans pour le baile, d'un an pour les
autres charges. Le notaire baile n'a pas droit d'instrumenter, ni ses
fils. Le baile tient audience le lundi uniquement.
Quatre électeurs sont nommés de la même manière,
pour qu'ils désignent les autres officiers. Chacun nomme trois hommes
capables et trois fèves noires, soit douze personnes, parmi lesquels sont
tirés au sort les deux syndics et le clavaire (trésorier). Celui-ci doit
faire entrer les redevances, profits, arrérages de la communauté et
rendre compte dès qu'il en est mandé, puis à la fin de son année de
fonction. Le mandat du Conseil est nécessaire à ses paiements. Il ne peut
être réélu avant deux ans.
Les mêmes électeurs appellent douze hommes pour les
arbitres, qui sont nommés quand ils tirent les trois fèves. Ils ne
peuvent être réélus avant un an. Ils désignent ensuite onze hommes chacun
pour pourvoir aux quinze conseillers, désignés par le tirage des quinze
fèves. Leur réélection ne peut avoir lieu dans l'année qui suit.
Pour les six campiers, les électeurs désignent six
personnes chacun, désignés par les six fèves. Les deux premiers élus sont
ceux de la ville, les deux suivants ceux de Manquel et Figaret,
les deux autres de Manoinas. Deux ans sont nécessaires après leur
charge pour être réélus, un an pour un autre office. Le sacristain est
élu de même. Même condition de réélection.
Le Parlement élit les quatre auditeurs des Comptes à
la majorité. Les greffiers sont choisis parmi les notaires, leurs droits
fixés, le plus ancien admis en premier lieu. Pour les affaires de moins
de 3 florins, ils touchent 1 gros. Pour celles supérieures, avec un
maximum de 5 florins de rétribution. Ils ont 30 gros comme gages, contre
obligation de rédiger les délibérations, tenir les livres des syndics et
du clavaire, dresser les actes d'amende. Avec les autres parties, pas
plus de 2 florins.
Le clavaire tient le coffre, chaque syndic ayant une
clé. La dette empêche la fonction communautaire jusqu'à sa rémission.
Oligation de résidence est faite aux officiers. Ces statuts sont
approuvés le 23 août 1533 par Charles III.
5°) Troupeaux et cultures : Les défens sont
rapidement instaurés. Un acte de 1333 leur donne toute leur force,
instituant amendes aux contrevenants, à payer par double au propriétaire
lésé et à la communauté. Ils règlent les temps de circulation des animaux
selon les terroirs. Les campiers devaient assurer la protection des
propriétés, obtenaient « un juste dédommagement en cas de dégâts », en
argent jusqu'à la saint Jean, en blé jusqu'à la saint Michel, temps des
récoltes. Ils doivent enregistrer les bans ou délits du jour dans un
délai de quinze jours. Le 13 mai 1408, la vigne fait l'objet d'une
réglementation particulière. Le défens des Vignes est protégé contre tout
bétail. En cas de contravention, les bêtes doivent être réquisitionnées
jusqu'au paiement de l'amende. Le Conseil doit être informé de tous ces
cas. Les vignes doivent être closes, mais un passage « suffisant » est
obligatoirement réservé afin de ne pas entraver les mouvements des hommes
et des bêtes.
6°) Moulins et biens divers : Une société est
constituée, le 27 décembre 1337, en vue de l'acquisition d'un local, où
auront été construit quatre moulins, entre vingt-sept personnes d'Utelle,
qui s'engagent à y moudre leurs céréales, contre 200 livres parvorum
ou trois ans de revenus de la mouture au prêtre Robert OLIVARI, vendeur.
La même société achète, le 20 mars 1356, aux frères Foulque et Jean
OLIVARI, un réservoir de moulin (à huile sans doute), en pierre, pour 110
livres au Pontet, puis louent, le 8 juillet 1380, pour deux ans, à
Antoine OLIVARI, une maison contenant trois moulins, pour 10 livres
parvorum par an, moins les réparations nécessaires, et plus deux
meules neuves, à charge des locataires. OLIVARI doit y affecter un
meunier connaissant son travail.
Le 26 décembre 1466, une emphytéose est concédée à
Grégoire MARTIN, tisserand, à la vinha d'Augracia, un emplacement
pour y élever un ou des moulins à foulon, contre service annuel de 6 gros
parvorum.
Dans la première moitié du XVème siècle sont connues
les confréries du Saint-Esprit, de l'Aumône dit de Dieu, de l'Aumône
Pascale dite Andalve, le futur Luminaire.
7°) Ponts et chemins : Les archives d’Utelle
renferment de nombreuses mentions des voies de circulation. En 1452,
alors que le chapelain de Clans, Laurent ISOARD, s’était engagé à
construire un pont à La Sorbiera, entre Levens et Utelle, il est
finalement excommunié pour ne pas l’avoir fait : « A la grand-messe, les
dimanches et jours de fête, on sonnera les cloches, les cierges seront
élevés, puis éteints avec de l'eau, et jetés à terre, et la sentence
d'excommunication sera publiée (...) jusqu'à ce que le coupable ait
obtenu son absolution, ou jusqu'à nouvel ordre ». Le pont fut édifié par
Barthélémy ISNARD de Clans. En 1552, Monet CRISPINI, tailleur de pierre
d'Utelle, est chargé de reconstruire le pont. Il devra être établit pour
la saint Michel, avec garantie de 10 ans, pour 1 300 florins.
8°) Affaires paroissiales : Le sacristain,
élu par le Parlement, est chargé de la trésorerie et de la gestion des
biens et revenus paroissiaux, élu pour un an à la paroissiale de
Saint-Véran. Nous connaissons le testament de Jacques AUDEBERTI, prieur
de Saint-Véran, datant du 18 juin 1385 : il procède à de nombreux lègues
pieux, à l’érection de sa sépulture, donne des messes et des aumônes, et
fonde une chapellenie dédié à Saint-Véran, dans l’église, sur l'autel de
la Vierge, avec obligation d’une messe journalière ou trihebdommadaire.
Il nomme le chapelain, et prévoit qu’en cas de décès à Utelle, le jus
patronat reviendrait au Conseil et au prieur de Lantosque Audiberti
FABRI, sa vie durant.
Alors que nous connaissons la chapelle
Saint-Sébastien dès 1499, la communauté désire construire, le 30 novembre
1523
,
une chapelle Saint-Roch, placée sous son jus patronat.
9°) Conclusion : En 1754, Utelle possédait 1
350 habitants, pour 305 chefs de familles. Aux XIVème-XVème siècles, la
population ne devait pas excéder 1 000 habitants, et sûrement se situer
aux alentours de 800. De vieilles familles se maintiennent encore de nos
jours : les OLIVARI, PASSERON, MAUREL, ROBAUDI (ROUBAUDI), FARAUT,
CRISTINI (CRISPINI), MILLO, BOVIS, GILLI, AGUILLON, MASSELIA (MASSILIAS),
CABANAL, CLERISSI, SEREN (SERENA), PASQUIER.
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- [N.B.] Ce désir correspond à un mouvement général connu dans
l’ensemble de la Vésubie à la même époque, réaction de protection
contre un danger épidémique. Cf Pays Vésubien n° 1,
GILI E. & ISNART C. « Les
édifices religieux à Saint-Martin Lantosque. Espace historique et
sacré d’un terroir », pp. 2-48